Prénoms rares

Keydense, Glodie, Criswyne, Fifire, Berfine, Haïllie, Djayson, Virgilijus... Les prénoms rares se comptent désormais par centaines dans les registres d'état-civil. Jusqu'où peut-on aller pour donner à son enfant un prénom "original" ?

Ah, qu'il est loin le temps où une fille sur huit s'appelait Marie (une sur cinq en Bretagne en 1900 !) et où un p'tit gars sur douze était un Jean (en 1940). En 2013, à Rennes, le prénom féminin le plus donné (Ines) n'a concerné qu'une fille sur soixante (Hugo pour un garçon sur 66).

La tendance, c'est de donner à sa progéniture un prénom "unique". Il faut être O-RI-GI-NAL. "Pour une famille sur cinq, c'est indispensable. Et pour 50 %, c'est important ou très important selon une étude réalisée en 2007, souligne Nicolas Guéguen, professeur de psychologie sociale à l'Université de Bretagne Sud. En 1965, 36 prénoms suffisaient pour nommer la moitié des enfants nés cette année-là. En 2000, il en fallait 147".

Échapper à la norme

"Cette quête d'originalité s'est accentuée depuis quelques années, confirme Sylvie Esnault-Morin, responsable du service d'état-civil de Rennes. Elle passe d'abord par une orthographe différente pour les prénoms qui ont la cote (Lucas, Matisse, etc.)". Certains apparaissent ainsi sous plus de vingt formes différentes !

D'où vient ce besoin viscéral de se distinguer ? "Il y a une volonté d'échapper à la norme, analyse Nicolas Guéguen. Cela peut aussi être un repli sur soi, qui correspond au fait que nous vivons dans une société toujours de plus en plus individualiste. Avant, il y avait un désir d'intégration. Aujourd'hui, on constate au contraire une tendance au communautarisme, un retour aux racines."

Trop différent : attention rejet

Dans cette bataille existentielle, les prénoms bretons ont la cote. "Il y a trente ans, s'appeler Gwendal était original. Aujourd'hui, cela ne suffit plus, affirme Nicolas Guéguen. Les parents vont puiser dans la culture celtique pour trouver toujours plus singulier". Maodan, Gwion...

Et quand l'orthographe ne suffit plus à se démarquer, les parents inventent. "On voit de plus en plus de simples assemblages de sonorités, sans sens particulier", constate l'enseignant. Gare aux apprentis sorciers. "À trop vouloir jouer la carte de la différence, cela peut être discriminant. Une étude a récemment mis en évidence qu'un CV comportant un prénom difficile à prononcer avait une probabilité plus forte d'être rejeté qu'un autre".

Un "Chou-fleur"... accepté !

Difficile de s'appeler Aboubacar-Jacky, Syrhon, Suld, Websterlyne, Steji-Antoinette, Ariner, Emerentienne, Gauldine ou Firdawss? Dur de porter le prénom de Divine, Prodige, Pâquerette, Princesse, Sheriff, Nada? Peut-on donner n'importe quel prénom à son enfant ? "Non, répond Claudine Picard, du service de l'état-civil de Brest. Lorsque le prénom choisi nous semble contraire à l'intérêt de l'enfant (péjoratif, ridicule...) ou à un tiers, nous devons saisir le procureur de la République. Si lui aussi estime qu'il y a atteinte, il saisira le juge aux affaires familiales qui tranchera. Pour l'orthographe, tout est possible. Il suffit que les lettres utilisées proviennent de l'alphabet français".

Brest n'a pas saisi la justice depuis "sept ou huit ans". Le service se rappelle quelques cas qui l'avaient interpellé. Un "Boxeur" (en troisième ou quatrième prénom), ou encore un "Djohny" (parents persuadés que c'était la bonne orthographe). À Rennes également, les saisines sont rares. Le dernier cas litigieux remonte à 2012. Un "Eden Rock" a été ainsi retoqué. Une Tif'n a en revanche été acceptée.
"Les magistrats ont parfois une approche très personnelle", observe un service d'état-civil. Un difficile "Idem", donné à une soeur jumelle, n'a pas été refusé. Un service a même vu passer un "Chou-fleur". Accepté ! C'était un deuxième prénom.

6 mars 2014 - Article de Letelegramme.fr

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